Le pays des arbres à lettres
Parfois une rencontre peut bouleverser bien des choses et nous entrainer vers l’inconnu… Cette histoire, c’est celle de la rencontre qui a changé ma vie. Cette culture d’arbres à lettres, ces greniers à mots c’est le pays où je suis né.
Chez nous les bûcherons plantent les arbres et portent leurs lettres à la cité pour en faire des livres. Car ici, Ce sont les mots des livres qui nourrissent les hommes. Je ne parle évidemment pas des livres interdits, ceux créés par les poètes et les artistes, ces livres là, leurs mots procurent des émotions si fortes qu’ils en marquent la peau, à tout jamais. Les marqués, ceux qui fabriquent les livres interdits sont bannis, obligés de se cacher ou de se retirer loin, très loin de la société et si l’un d’entre eux est arrêté, on ne le revoit jamais. …..
C’était l’époque où j’étais bûcheron comme mon père. Le fil de ma vie se déroulait au gré des saisons, je faisais mon travail. A la fin de l’automne je vendais ma récolte de lettres à la fabrique de livres et j’achetais les graines de mes nouveaux arbres.
A cette occasion, les gardes vérifiaient scrupuleusement qu’aucune tâche n’entachait notre peau. Simple formalité, car dans mon enfance, mon père avait fait son devoir, il avait dénoncé une famille de marqués.
Par chance, les récoltes se vendaient bien. J’avais assez de livres pour vivre et ne pas me poser de question. Un après-midi, j’étais en plein travail …..
Elle dévalisait mes plus beau x arbres : c’était une marquée, une qui se nourrit des livres interdits, une bannie. Je craignais les marqués et leurs étranges pouvoirs mais plus encore qu’ils ne me contaminent...Les histoires les plus folles couraient à leur propos . Mais je devais à tout prix récupérer mes lettres.
Sa peau bariolée m’hypnotisait, j’étais envouté par le chant de ses mots. C’était déjà trop tard…
J’ai cinq ans, je suis avec mon père. Il est fier du devoir accompli et je suis fier d’être son fils….
Les souvenirs de ma mère subitement disparue m’envahirent soudain : la douceur de sa voix, ses caresses, sa petite bourse de soie…
Elle s’appelait Béryl, sa petite fille Fauvert. Depuis l’arrestation des parents de fauvert, elle se cachait dans le nord du pays
- Pardonnez-nous s’écria Béryl, c’est pour la petite, elle a besoin de mots pour ne pas dépérir.
Je ne pouvais les dénoncer.
- Que la poésie vous garde remercia Béryl.
Mais quand je tendais la main…
J’étais devenu un « marqué ». Je ne savais que faire, attendre de me faire arrêter, fuir le plus loin possible ?
C’est alors que j’ai soudain compris : ma mère, elle aussi…
Avant de nous séparer, je partageais ma réserve de branches à lettres avec Béryl mais après en avoir prélevé quelques-unes , c’est à l’enfant que je donnais les précieuses graines de ma mère ; c’était une espèce rare, très apprécié des poètes …
Elle m’assura d’en prendre le plus grand soin.
Les années ont passé. Je n’ai aucun regret. Je vis depuis loin de chez moi Je cultive mon jardin et compose des livres.
Les mots magiques de Béryl et Fauvert, les précieuses passeuses d’émotion me nourrissent toujours
Isabelle Blanchard